-*- mode: org -*- Teach Yourself French (1938) * Pronounciation Il était une fois un bûcheron et une bûcheronne qui avaient sept enfants, tous garçons; l'aîné n'avait que dix ans, et le plus jeune n'en avait que sept. Ils étaient fort pauvres et leurs enfants les incommodaient beaucoup, parce qu'aucun d'eux ne pouvait encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinait encore, c'est que le plus jeune était fort délicat et ne disait mot, prenant pour bêtise ce qui était une marque de la bonté de son esprit. Il était fort petit, et, quand il vint au monde, il n'était guère plus gros que le pouce, ce qui fit qu'on l'appela le petit poucet. * I Mon frère aîné n'avait que dix-huit ans quand il a visité Paris pour la première fois, et ce qui l'a beaucoup impressionné c'est l'animation et la largeur des rues. A Londres, les rues même le plus grandes n'avaient pas soixante pieds de large et les petites n'en avaient que vingt. A Paris, surtout dans les beaux quartiers de la ville, c'était tout à fait différent. Les rues étaient larges et bien éclairées et ce n'est pas sans justice qu'on a appelé Paris "la ville Lumière." A cette époque les automobiles étaient encore peu nombreuses: en effet on n'en voyait guère et les piétons n'avaient aucune difficulté à traverser les rues. On pouvait flâner sans méfiance: ce qui n'est plus possible. * II Tout le monde sait très bien que Londres est la plus grande ville de l'Europe. Paris est loin d'être aussi grand que la capitale de l'Angleterre. Mais, s'il est moins vaste, il est en revanche, du moins à l'avis des Français, de beaucoup plus agréable. Et à en juger par le grand nombre de touristes qui visitent la ville, il est évident que les étrangers se rendent compte de la beauté de Paris. L'Exposition, une des plus grandes et des plus variées qu'on a vues depuis la fin de la guerre, a attiré des foules de visiteurs. Pour les touristes qui redoutent le trajet de la Manche le meilleur moyen d'aller à Paris, c'est de faire le voyage par avion: mais ce n'est pas le moins cher. Les gens qui ont plus de loisir ne sauraient mieux faire que d'y aller en automobile. Les routes sont bonnes: on voit bien la campagne: en suivant la route nationale il est presque impossible de perdre son chemin. Et l'on peut faire facilement le voyage en deux jours, vu que Paris n'est qu'à trois-cents kilomètres de Calais. En France, comme dans la plupart des pays du monde, les véhicules tiennent la droite, mais le touriste intelligent s'accoutumera sans la moindre difficulté à ce règlement. Il n'a qu'à se dire: "je suis résolu de ne pas l'oublier;" et en quelques minutes il se moquera de l'anxiété qui l'a torturé dès le moment où, du pont du paquebot, il a aperçu la côte française. * III Le lendemain de mon arrivée à Paris je me suis levé de bonne heure. Ayant pris le petit déjeuner, qui consistait en une tasse de café avec du pain et du beurre, je suis sorti de l'hôtel, où j'étais descendu, pour aller faire une promenade en ville. En suivant les rues les plus fréquentées j'arrive enfin à une grande place au milieu de laquelle se dresse une colonne. C'est la Place de la Bastille. Ce qui m'étonne un peu c'est de voir de tous côtés des baraques où des marchands se sont installés. Un monsieur à qui je pose une question, dans mon meilleur français, me dit que ce n'est pas un marché ordinaire mais une foire. Il paraît qu'il n'y a aucun arrondissement de Paris qui n'a (pas) à quelque saison sa foire. L'ayant remercié de son explication je fais le tour des baraques. On y vend toute sorte de choses: de la viande, des légumes, des oiseaux en cage, des chaussettes, des bas de soie artificielle. Outre les marchands j'ai remarqué un prestidigitateur, des acrobates et un vendeur de billets de loterie. En écoutant bien les marchands qui proclamaient à haute voix la qualité supérieure de leur marchandise, j'ai réussi à augmenter de quelques mots pittoresques mon vocabulaire français. Comme je n'avais dans ma poche qu'une dizaine de francs je n'ai rien acheté, mais je me suis beaucoup amusé. Il est vrai que j'étais seul. Mais je ne me suis pas ennuyé, car il y avait tant de choses intéressantes à voir. Il avait fait d'abord un temps magnifique. Vers midi, cependant, le ciel s'assombrit et en quelques minutes une légère pluie tombait. J'ai décidé donc de rentrer à l'hôtel. * IV Je vous ai dit déjà que j'ai eu l'intention de rentrer à mon hôtel. Mais on se trompe facilement de route en essayant de revenir sur ses pas surtout dans une grande ville où l'on se promène pour la première fois. Après quelques minutes il n'y avait plus de doute. Je m'étais égaré. On a quelquefois de bonnes idées et, apercevant une papeterie, j'y suis entré à la recherche d'un plan de Paris. Le propriétaire du magasin comprend aussitôt que je suis anglais et il essaye, par politesse, de me parler dans ma langue maternelle. Je m'obstine à employer la sienne. Le résultat est très drôle et nous rions, l'un et l'autre. Mais je n'ai aucune difficulté à acheter mon plan et nous nous félicitons poliment l'un l'autre de notre connaissance d'une langue étrangère. Puis je quitte le magasin et je me mets à consulter mon plan. En quelques instants j'ai réussi à m'orienter. Je suis dans la Rue St. Antoine. En la suivant je gagnerai la Rue de Rivoli. Heureusement la pluie cesse bientôt de tomber et c'est sous un ciel redevenu serein que je parcours les rues animées de la capitale. Des passages cloutés indiquent au piéton la route qu'il faut prendre pour traverser les rues. Ça et là je vois des enseignes portant les mots /entrée interdite, sens unique/, et je comprends que, malgré la largeur considérable de beaucoup de rues parisiennes, le problème de la circulation des véhicules est aussi difficile à résoudre à Paris qu'à Londres. Vers midi je me trouve dans la Place du Palais Royal. Mon hôtel n'est qu'à deux pas de là, ce qui est loin de me déplaire, car j'ai bien faim. * V L'hôtel, dont il s'agit, n'était pas très grand. C'était à vrai dire un établissement assez modeste et ce fut pour cette raison que je l'avais choisi. Mais les hôtels à Paris, même ceux dont les clients ne payent que des prix modérés, vous offrent tout confort moderne, chauffage central, ascenseur, eau courante, etc. Chez nous, au contraire, surtout en province, les hôtels laissent beaucoup à désirer. Ce jour-là j'ai déjeuné mieux que je n'aurais fait à Londres au même prix. Le repas terminé je suis allé au salon où je me suis amusé à lire les journaux. Les journaux français, à en juger par celui que j'avais devant les yeux, ne sont pas aussi bons que les anglais. Ils sont mal imprimés et le papier n'est pas de très bonne qualité. Jusqu'alors je n'avais jamais lu de journal étranger. Naturellement il y avait beaucoup de mots que je ne comprenais pas, mais j'ai réussi sans peine à saisir le sens général des articles, ce qui m'a rendu fort content. Après ma longue promenade du matin j'étais un peu las. Mais je n'avais pas de temps à perdre, car je n'allais rester que six jours à Paris, et il y avait tant de choses intéressantes à voir. Je consulte de nouveau mon plan, au revers duquel je trouve toutes sortes de renseignements indispensables aux touristes, les routes d'autobus, les lignes du Métropolitain, etc. Je décide enfin d'aller visiter l'église du Sacré Cœur, exemple remarquable du style byzantin. De plus, comme elle est située au sommet de Montmartre, on y jouit d'un panorama magnifique. Selon une tradition très répandue c'est près de cet endroit qu'on a coupé la tête à Saint Denis, saint patron de la France sous l'ancien régime: d'où vient le nom du mont des martyrs, ou Montmartre. * VI Vers trois heures de l'après-midi je sors de l'hôtel et je me dirige vers la station du Métro la plus proche. C'est celle du Palais Royal. Je descends les escaliers et je me trouve dans une longue galerie souterraine. Je ne vois ni ascenseur ni escalier roulant. Sans doute il n'y a pas besoin d'en avoir dans la plupart des stations, car la voie n'est pas construite à la même profondeur qu'à Londres. Je m'approche du guichet et je demande un billet pour le parcours du Palais Royal à la station de Barbès. Mais l'employé me regarde d'une façon un peu dédaigneuse et je comprends que j'ai fait une gaffe. Il me demande si je désire un billet de première ou de deuxième classe. Je prends un billet de première et l'employé m'explique qu'il n'y a que deux prix selon la classe dans laquelle on voyage. Ce n'est pas comme à Londres où le prix des billets varie selon le parcours. Muni de son billet on peut changer de train autant de fois qu'on le désire et le billet ne cesse d'être valable que quand on aura dépassé la barrière pour remonter à la surface. Le train arrive aussitôt. Il se compose de cinq voitures, dont la troisième est de première classe. Ayant consulté encore mon plan - que je suis bien aise de l'avoir! - je descends à la Gare de l'Est pour prendre un train correspondant et quelques minutes plus tard, en remontant les escaliers je me trouve à l'extrémité du Boulevard Barbès. Je ne saurais dire si le système parisien est plus pratique que le nôtre. Evidemment pour celui qui est obligé de faire des parcours considérables le système comporte des avantages: de plus c'est un moyen de transport assez rapide: mais si on veut aller, par exemple, du Palais Royal à la Place de la Concorde, on ferait mieux de prendre l'autobus: on jouirait ainsi du grand air, tout en faisant de petites économies. * VII Il faut avouer qu'en m'approchant de la basilique du Sacré Cœur j'ai éprouvé une légère déception. Au premier aspect le style byzantin, dans lequel l'édifice est construit, m'a paru lourd. Ce n'est qu'après quelques minutes que je me suis rendu compte des nobles proportions et de la dignité de cette vaste construction, dont le clocher atteint une hauteur de plus de cent mètres. Il faisait assez sombre à l'intérieur, mais cette obscurité relative m'a rendu d'autant plus sensible à la beauté éblouissante du panorama de Paris qui s'est déroulé devant mes yeux, quand je suis venu me promener sur la terrasse devant la basilique, d'où on jouit d'une vue merveilleuse. Il est vrai que Montmartre a perdu son caractère original. Ce n'est plus le rendez-vous des vrais artistes, qui fréquentent plutôt le quartier de Montparnasse sur la rive gauche de la Seine. Les ateliers de Montmartre sont devenus des cabarets ou des boîtes de nuit. Malgré tout, cependant, Montmartre m'a séduit, et pendant plus d'une demi-heure je parcours les rues étroites en regardant les vieilles maisons de cette butte, si célèbre, qui domine la ville. Enfin je suis obligé de m'arracher à la contemplation de cette vue charmante, car il est temps de rentre à l'hôtel. Je me sers encore de mon plan et je prends un chemin qui me mène à la Place Pigalle. Il y a tout près une station du Métro, mais je n'y entré pas, ayant pris le parti de rentrer en autobus. Je m'approche d'un arrêt où plusieurs personnes attendent déjà. J'en vois une qui prend un des billets numérotés qui sont fixés à un réverbère. Je fais de même sans savoir bien pourquoi. A l'arrivée de l'autobus, cependant, je comprends, car le receveur demande leurs numéros aux personnes qui veulent y monter et l'on y entre selon le numéro que l'on a. C'est très pratique, surtout pendant les heures d'affluence, car on évite d'être bousculé par ceux qui se battent pour obtenir une place. Mais cette fois je n'ai pas de chance. L'autobus est au complet et je me résigne à attendre encore quelques minutes. * VIII C'est en première que je réussis enfin à obtenir une place. M'étant assis, je me dispose à acheter mon billet, sans savoir au juste, cependant, comment m'y prendre. Un monsieur, bien poli, auprès de qui je cherche à me renseigner, me conseille d'acheter, moyennant payement de huit francs, un carnet, dont le receveur détachera autant de billets qu'il faut. "La route se divise en sections," ajoute-t-il, "et le nombre de billets qu'il vous prendra dépend de la longueur du parcours." "Je veux aller jusqu'au Palais Royal," lui dis-je. "En ce cas il détachera quatre billets. Si vous aviez une place de seconde classe il ne lui en faudrait que trois." Je suis son excellent conseil, et une vingtaine de minutes plus tard j'arrive à ma destination. Je suis sur le point de rentrer directement à l'hôtel quand, regardant ma montre-bracelet, je constate que ce n'est pas encore l'heure du dîner. "Si j'allais prendre un apéritif au Café de la Régence, qui est tout près," me dis-je. "Voilà une bonne idée, car il est bien agréable de s'asseoir à une petite table en plein air et de regarder les passants." Beaucoup de personnes sont déjà en train de déguster leurs boissons et ce n'est pas sans difficulté que je trouve une petite table de libre. Il n'y a pas besoin de dire que ce n'était pas celle où Bonaparte jouait aux Échecs. Le garçon m'a montré cette fameuse table, mais naturellement il est défendu aux consommateurs de s'y asseoir. Tout en buvant à petits coups le Cinzano que j'ai commandé je regarde les flâneurs. En me rappelant plus tard les détails de ma visite à Paris, j'ai été convaincu que, toute réflexion faite, les heures que j'ai passées à prendre un café crème ou un apéritif au dehors d'un des innombrables cafés, ont été les plus délicieuses de mon séjour dans la capitale. On est, pour ainsi dire, au cœur même de Paris. Ce soir-là, en très peu de temps, j'ai vu passer toute sorte de gens: de bonnes familles bourgeoises, des hommes d'affaires, des vendeurs de tapis, des femmes élégantes. J'aime beaucoup le théâtre. Assis sur la terrasse d'un café on assiste à un spectacle de la vie réelle: ce qui est plus intéressant que n'importe quelle comédie. Bref je me suis fameusement amusé, et c'est avec peine que je me décide enfin à rentrer à l'hôtel. * IX Avant mon départ de Londres on m'avait dit qu'un moyen admirable d'étendre ma connaissance du français ce serait d'assister à la représentation d'une bonne comédie. Chez nous il n'y a pas de théâtre national, quoiqu'on en parle depuis longtemps. Mais à Paris on trouve plusieurs théâtres, subventionnés par l'État, dont le mieux connu est la Comédie Française, la fondation de laquelle remonte au dix-septième siècle. Après dîner j'ai donc consulté le bulletin des spectacles dans le journal pour savoir ce qu'on jouait en soirée au Français. C'est /Le Malade Imaginaire/. Heureusement j'avais lu déjà cette belle pièce de Molière qui compte à juste titre parmi les chefs d'œuvre du théâtre français. Cette comédie a été représentée pour la première fois le dix février 1673. Mais elle porte toujours, car c'est une pièce vécue. Mon hôtel n'était qu'à quelques pas de la Comédie Française et il y avait encore vingt minutes avant le lever du rideau. Mais je suis parti aussitôt, car je n'avais pas retenu ma place, et il y aurait sans doute beaucoup de monde. En effet j'ai remarqué à l'entrée du théâtre une foule de personnes, dont quelques-unes (étaient) en grande toilette. En arrivant au guichet j'ai demandé à l'employé une place dans le deuxième galerie. "Une seule?" me dit-il. "Bon. Il y a le numéro soixante-sept au troisième rang. C'est un peu de côté, mais vous verrez bien la scène." "Eh bien, ça fera mon affaire," lui dis-je. "Ça fait quinze francs, monsieur. Merci." Mon billet à la main, je suis entré dans la salle et une ouvreuse m'a conduit à ma place. Le théâtre était bondé. Il n'y avait pas une place de vide au parterre. C'est avec la plus vive impatience que j'attends le commencement de la pièce, car je sais bien que les rôles à la Comédie Française sont tenus par les meilleurs acteurs de Paris. Enfin on frappe les trois coups traditionnels. Il se fait dans la salle un silence profond. Le rideau se lève et les acteurs entrent en scène. * X L'intrigue du /Malade Imaginaire/ est peu compliqué. Il s'agit d'un bourgeois, qui s'obstine à croire qu'il est atteint d'une grave maladie. Il s'entoure de médecins qui lui prodiguent leurs soins. Mais, comme vous l'aurez deviné, ils ne lui donnent pas des consultations gratuites, et Argan - c'est le nom de soi-disant malade - se lasse enfin de leur payer de grosses sommes d'argent. Il décide donc de marier sa fille avec un médecin, pour qu'il paye moins cher à l'avenir les remèdes dont il croit avoir besoin. Sa fille est amoureuse d'un jeune homme, mais le père veut absolument qu'elle épouse un médecin pédant et ridicule. Il ne réussit pas cependant à accomplir son dessein. Les personnes à qui il se fie le trahissent et il se rend compte enfin des belles qualités de la fille dont il a failli sacrifier le bonheur. C'est une pièce des plus amusantes et les acteurs ont parlé si clairement que j'ai tout compris. Dans la plupart des théâtres parisiens, sauf les music-halls, il est défendu au public de fumer. Aussi ai-je quitté ma place à l'entr'acte pour aller fumer une cigarette au foyer. Beaucoup de personnes ont fait de même. L'entr'acte n'a duré que dix minutes, mais il m'a semblé de beaucoup trop long, car il me tardait de voir les derniers actes. A la fin de la pièce la salle a croulé sous les applaudissements de l'assistance enthousiasmée et je suis sorti du théâtre en proie à une vive émotion. "Voilà une représentation," me dis-je, "que je n'oublierai jamais." Il était presque minuit, mais je n'avais aucune envie de me coucher. Les étoiles brillaient et il soufflait une légère brise comme je me suis dirigé au clair de lune le long de l'Avenue de l'Opéra jusqu'au Café de la Paix. Là, en buvant à petits coups mon café crème je me suis mis à penser à la pièce que je venais de voir jouer d'une façon si magistrale. A une table voisine deux messieurs parlaient affaires. "Que pensez-vous de la situation financière?" "Très mauvaise. Cela empire de jour en jour." De l'autre côté de moi deux jeunes gens se parlaient à voix basse. Evidemment ils ne se souciaient guère de l'accroissement artificiel de la circulation fiduciaire. Ni moi non plus. J'étais encore sous le charme de Molière. * XI Quand je m'éveillai le lendemain matin, il pleuvait à verse. On se moque volontiers du climat anglais, mais il n'est pas, à mon avis, plus capricieux que celui de la France. J'avais voulu passer la deuxième journée de mon séjour à Paris à visiter la rive gauche. Il était évident, cependant, que je devrais renoncer à ce projet, car j'aurais été trempé jusqu'aux os, si j'avais eu l'imprudence de faire une longue promenade par un temps pareil, et je n'avais aucune envie de m'enrhumer. Heureusement je me trouvais au plein centre de Paris. L'entrée du Louvre n'était qu'à deux cents mètres et je tenais à visiter ce musée célèbre. L'ancien palais des rois de France, qui sert maintenant de musée, est la construction la plus vaste qu'on puisse s'imaginer. Il ne reste que très peu du donjon primitif et la partie centrale du palais date du seizième siècle, car Catherine de Médicis adopta le Louvre comme résidence royale et fit construire la Petite Galerie, achevée plus tard sous le règne de Henri Quatre. Louis Quatorze ne s'intéressa guère au Louvre. Il s'établit à Versailles à quinze kilomètres de Paris, et le Louvre, qui logeait déjà l'Académie Française, donna asile à une foule de parasites dont les baraques encombrèrent la cour. Accaparé sous la Révolution par des journalistes et des boursiers, le Louvre fut restauré sous le premier Empire et transformé en Palais des Arts. Pendant le cours des siècles beaucoup de choses d'un grand intérêt se sont passées au Louvre. C'est de là que sortait Coligny quand il fut arquebusé par Maurevert, deux jours avant le massacre de la Saint-Barthélemy, qui eut lieu le 24 août, 1572. C'est dans l'ancienne salle des gardes que Molière joua pour la première fois devant le roi. Il présenta une tragédie de Corneille, qui fut médiocrement goûtée, et une farce de sa façon, dont le monarque, alors âgé de vingt ans, fut ravi. En face du Louvre se trouve l'Eglise St. Germain l'Auxerrois, fondée au septième siècle, détruite par les Normands et rebâtie. C'est du clocher actuel qu'on fit sonner le tocsin qui donna le signal du massacre, auquel j'ai fait allusion ci-dessus. C'est une des églises les plus intéressantes de Paris. * XII De retour à l'hôtel je demandai mon courrier et parmi les lettres que le concierge me remit il s'en trouva une qui portait un timbre-poste français. L'adresse était écrite d'une main que je connaissais bien. C'était l'écriture d'un de mes amis qui avait trouvé quelques mois auparavant un emploi dans une grande maison de commerce, dont le siège social était situé Boulevard Haussmann. Dans cette lettre il m'invita à aller le voir le lendemain matin et me pria de lui téléphoner dès que j'aurais lu sa communication. En entrant dans la cabine téléphonique de l'hôtel c'est avec une certaine hésitation que je décroche le récepteur, car voici la première fois que j'essaye de me servir du téléphone en France. Je n'entends d'abord qu'une friture formidable, à laquelle succède un silence relatif interrompu par la voix de la téléphoniste qui dit d'un ton funèbre: "J'écoute." Je jette un coup d'œil sur la lettre que je viens de recevoir pour vérifier le numéro d'appel que je veux demander. "Donnez-moi, s'il vous plaît," dis-je en m'adressant à la demoiselle invisible, "Taitbout zéro-cinq-trente-deux." Mais celle-ci reste implacable. "Veuillez répéter le numéro. Parlez plus près de l'appareil." Sans me laisser déconcerter, je redemande le numéro. Cette fois elle paraît plus contente de moi, mais je ne suis pas encore à bout de mes peines. Le signal "pas libre" résonne et je dois raccrocher. Au bout de quelques minutes j'essaye de nouveau. Cette fois tout va bien et je demande à être mis en relation avec mon ami. Il vient aussitôt à l'appareil et, en reconnaissant sa voix, je pousse un soupir de soulagement. "Allô! C'est toi, Jean?" "Oui, c'est moi qui parle. J'ai eu du mal à t'avoir, tu sais. Mais n'importe. Tout est bien qui finit bien. Comment ça va?" "Pas trop mal. Alors tu as reçu mon bout de lettre?" "Oui, tout à l'heure. Et on se verra demain." "Bien sûr. Viens ici vers les onze heures. J'ai des tas de choses à te raconter. J'espère bien que nous pourrons déjeuner ensemble. Et je te ferai voir les postes de T.S.F. qu'on fabrique chez nous. Si j'ai bonne mémoire, tu t'intéresses à la téléphonie sans fil." "Oui, je crois me connaître en tout ce qui concerne la radio- diffusion." "C'est bien. Mais je suis très occupé en ce moment et---" "Et je te dérange, hein? Alors, mon vieux, à demain." * XIII Il n'ya pas besoin de dire que mon ami me fit, le lendemain matin, l'accueil le plus cordial, et, moi, je fus ravi de revoir mon ancien camarade d'école. En effet pendant quelques moments c'était à qui jaserait le mieux. Mais enfin il me coupa la parole. "En voilà assez," me dit-il, en souriant. "Il paraît que nous avons, tous les deux, la langue bien pendue. Au déjeuner nous aurons le temps de causer. En attendant je voudrais te faire voir quelques-uns de ces postes, dont je t'ai parlé hier. Ils sont vraiment superbes. Tiens, voici un de nos modèles les plus récents." Il indiqua de l'index un poste à six lampes, orné de deux larges barres en métal chromé avec pieds assortis. "Ce poste te captera l'Amérique et tu obtiendras une audition parfaitement claire. J'ai écouté moi-même le signal horaire et le journal parlé diffusés hier par la station de Schenectady." "Mais ce poste doit être assez cher." "Au contraire. Ce poste ne peut être égalé par aucun autre d'un prix approchant. Ce modèle ne coûte que deux mille huit cents francs, ou on peut l'avoir à crédit en payant cent cinquante francs par mois. C'est un prix dérisoire, tu sais. Avec ce poste on se moque de parasites et de l'hétérodynage. Le morse qui intervient au dessous de ta station préférée, quand tu essaies d'écouter un programme de choix, ce sifflement continu qui accompagne l'émission de certaines stations - en te servant de ce poste tu n'auras pas à te plaindre de ces inconvénients, qui troublent quelquefois toute une bande. "De plus, regarde ce contrôle qui rend le réglage du poste si facile. Son index lumineux et son éclairage indirect permettent de lire clairement et avec précision la longueur d'onde ou la station recherchée." "Voilà qui est trop fort," lui dis-je. "Aie pitié de moi je t'en prie. Tu sais bien que je n'ai chez moi qu'un méchant poste portatif et tu me fais venir l'eau à la bouche en me parlant ainsi. "D'ailleurs tu perds ton temps. A t'entendre parler on croirait que tu t'efforces de me faire acheter un de ces modèles. Evidemment tu me crois plus riche que je ne le suis. Si tu étais vraiment gentil tu m'en ferais cadeau!" "Et, toi, tu veux me faire flanquer à la porte! Allons déjeuner, imbécile!" * XIV Je crois avoir dit déjà quelque chose au sujet du Café de la Régence. Depuis ma première visite j'y suis rentré plusieurs fois et j'ai fini par vouloir avoir là-dessus de plus amples renseignements. Un soir, un monsieur assis près de moi me demanda du feu pour allumer sa cigarette et, après lui avoir tendu mon briquet, je profitai de l'occasion pour aborder le sujet du Café, en lui demandant de me dire quelque chose de son histoire. Il ne se fit pas prier. Pendant plus d'une demi-heure il m'a entretenu des Cafés de Paris, sujet dont il paraissait avoir une connaissance approfondie. C'était, comme on dit, une encyclopédie vivante. "Savez-vous," me dit-il, "que Jean-Jacques Rousseau fréquentait le Café de la Régence et lorsqu'il y parut la police fut obligée de lui interdire de se montrer dans les lieux publics, parce que sa présence attirait une foule prodigieuse. C'est Grimm qui a noté ce fait dans un des dix-sept volumes de sa 'Correspondance littéraire.' De nos jours un philosophe passe inaperçu. Il faut une étoile de cinéma pour faire attrouper la populace! "Mais de tous les cafés du dix-huitème siècle," reprit-il, "le plus célèbre était le Procope, dont la clientèle se composait surtout de gens de lettres. Là aussi Rousseau fut acclamé. Voltaire allait quelquefois au Procope. Une fois il se déguisa en ecclésiastique et se blottit dans un coin obscur du café afin de connaître l'opinion des habitués sur une de ses tragédies, qui venait d'avoir sa 'première.' Les dramaturges d'aujourd'hui supporteraient avec moins de patience les jugements de critiques trop francs! "A la veille de la Révolution les discussions littéraires cédèrent peu à peu la place aux disputes politiques. Le Procope était infesté d'espions, ce qui devait éloigner Voltaire. Ayant passé quelques mois en prison dans sa jeunesse, il n'avait aucune envie de se voir arrêter de nouveau." "Et le Café Procope existe toujours, monsieur?" Mon compagnon secoua la tête. "Non. Sous le Second Empire on y avait installé le gaz, mais les jeunes gens préférèrent des cafés plus neufs, plus bruyants. Sa vogue tomba. Alors " - il haussa les épaules - "encore une partie du vieux Paris qui a disparu." Il vida son verre, me fit un petit signe de tête amical et sortit. * XV En descendant au salon le lendemain matin je me suis arrêté un moment au bureau de réception de l'hôtel. "Je suis à court d'argent français," dis-je à l'employé, "voulez-vous me changer cinq livres sterling en argent français?" "Mais certainement, monsieur. Aujourd'hui le cours du change est de cent quarante-six francs. Je prélève une commission d'un franc, ce qui fait cent quarante-cinq. Voici donc un billet de cinq cents francs, deux de cent francs, une pièce de vingt francs, et une de cinq." "Merci. Mais ne pourriez-vous pas me donner de petite monnaie? J'en serais très reconnaissant, car j'ai quelques toutes petites emplettes à faire." "Très bien. Je vous reprends le pièce de vingt francs et voici dix pièces de deux francs. Cela vous convient?" "Parfaitement. Et je veux aussi des timbres-poste. xoVeuillez me donner deux timbres d'un franc cinquante." "Malheureusement, il ne m'en reste absolument plus, monsieur. Mais je puis vous donner six timbres de cinquante centimes. Cela fera également bien votre affaire, n'est-ce pas?" "Merci bien." "C'est tout, monsieur?" "Oui. Ah, j'y pense. Il me faut des cigarettes. Voulez-vous avoir la bonté de me dire s'il y a un bureau de tabac près d'ici?" "Bien sûr, monsieur. Il y en a un à deux minutes de l'hôtel. Vous n'avez qu'à tourner à gauche en sortant et vous le verrez en face." < . . . > "Bon jour, monsieur, qu'y-a-t-il pour votre service?" me dit poliment la marchand de tabac, dès que j'eus franchi le seuil de son débit. "Est-ce que vous vendez des cigarettes anglaises?" "Mais, oui, monsieur. Nous avons toutes les meilleures marques." "Bon. Alors donnez-moi un paquet de vingt Gold Flake. Qu'est-ce que ça coûte, ça?" "Huit francs, soixante-quinze, monsieur." "Mon Dieu! ça revient cher. Je vois bien que je devrai m'habituer à fumer les cigarettes françaises." "Vous y prendrez facilement goût, monsieur. On fait maintenant de très bonnes cigarettes en France. Voici des Gitanes, c'est une marque très recommandable et qui se vend trois francs cinquante le paquet." "Bien, j'en prendrai deux." "Merci, monsieur. Et en fait de tabac -" "Non, je vous remercie. Je ne fume pas la pipe." J'ai passé ensuite chez la chemisier, pour acheter des faux-cols doubles et mous. "Quelle est votre encolure, monsieur?" me demande l'employé. Voilà une question bien difficile et je ne savais pas comment me tirer d'affaire. "Je ne sais pas la mesure française," lui dis-je enfin, "mais en Angleterre je porte des faux-cols de quinze pouces." "Pour trouver la mesure française il faut diviser par deux et multiplier par cinq. Voyons un peu" - il fait un calcul rapide - "Oui, cela nous donne trente-huit centimètres." "Bon. Je veux des faux-cols blancs en percale." "Bien, monsieur, j'ai justement votre affaire. Combien vous en faut-il?" "J'en prendrai trois. Cela me suffira, vu que je dois rentrer à Londres samedi." "Et vous ne voulez rien d'autre, monsieur?" "Merci. J'ai tout ce qu'il me faut." * XVI Paris est si plein d'intérêt que c'était à peine si je me décidai à m'absenter de la ville pendant quelques heures pour en visiter les environs. Mais avant mon départ de Londres mon ancien professeur de français m'avait prié de ne pas manquer de faire une excursion à Versailles. J'avais promis de faire ce qu'il me demandait et je ne voulus pas lui manquer de parole. D'ailleurs, après avoir fait la visite de ce palais somptueux, j'ai compris pourquoi il tenait à ce que j'y allasse. Car Versailles est une des merveilles du monde. Au commencement du dix-septième siècle Versailles n'était qu'un petit village. En 1624 Louis XIII, grand amateur de la chasse, se fit bâtir sur le sommet de la butte, qui dominait le village, un château modeste en pierre et brique. Son successeur, qui se sentait mal à l'aise au Louvre, songea à transférer à Versailles le siège de la cour et du gouvernement. Il chargea les meilleurs architectes du royaume de remanier et d'embellir la construction ancienne, et les dépenses totales des travaux s'élevèrent à plus de soixante millions de livres, soit environ vingt millions de livres sterling. Sous Louis XIV, dont le règne dura soixante-douze ans, le château de Versailles fut à l'apogée de sa gloire. Mais les beaux jours passent. En 1789 la foule envahit le château, massacre les gardes et ramène à Paris le roi Louis XVI, la reine Marie Antoinette et leurs enfants. Cet événement marque la fin de l'ancien régime. Pendant la guerre de 1870 les Allemands firent de Versailles le centre de leurs opérations contre Paris et c'est dans la Galerie des Glaces que le roi Guillaume était proclamé empereur d'Allemagne. Dans cette même galerie était signé, quarante-huit ans plus tard, le traité de Versailles qui restituait à la France les provinces perdues en 1871. J'essaye de me mettre au courant de l'histoire de château en consultant mon guide, avant de prendre le tramway qui fait le trajet entre Paris et Versailles. Mais le château est trop vaste pour qu'on se fasse dans une seule visite une bonne idée de sa splendeur. Il me tarde de m'y rendre de nouveau. Malheureusement ce n'est pas possible, car mon séjour à Paris touche à sa fin. * XVII Le jour fixé pour mon départ arriva. Ayant pris le petit déjeuner, j'allai faire un dernier petit tour par les rues du quartier. En longeant la Rue de Rivoli je regardai d'un œil inquiet les arbres aux jardins des Tuileries. Pas une branche ne remuait et je poussai un soupir de soulagement. La mer serait calme. J'allai jusqu'à la Place de la Concorde, mais le temps passait vite et je dus bientôt revenir sur mes pas. Je réglai la note et le concierge fit descendre mes bagages, pendant que le chasseur allait chercher un taxi. Vingt minutes plus tard je descendis à la Gare du Nord. Le train partit à midi juste et à cinq heures moins dix je débarquai à Douvres. J'ai bien soif. Il y a encore quelques minutes avant le départ du rapide, aussi vais-je au buffet de la gare. "Quoi! De la bière? A cette heure?" me dit l'employée d'un ton plein de reproche. "Ah! Pardon," lui dis-je. "Je pensais être encore à l'étranger. Mais je vois bien maintenant que je suis dans mon pays natal!" * Moralité (Perrault - Le Petit Poucet) On ne s'afflige point d'avoir beaucoup d'enfants, Quand ils sont tous beaux, bien faits et bien grands. Et d'un extérieur qui brille; Mais si l'un d'eux est faible, on ne dit mot, On le méprise, on le raille, on le pille: Quelquefois, cependant, c'est ce petit marmot Qui fera le bonheur de toute la famille. * From Béranger: Les Gueux Vous qu'afflige la détresse, Croyez que plus d'un héros, Dans le soulier qui le blesse, Peut regretter ses sabots. * From de La Harpe: Philoctète (Acte I, Scène IV) Il fallait employer cette pénible voie Pour briser des rameaux et pour y recueillir Le feu que des cailloux mes mains faisaient jaillir, Des glaçons dont l'hiver blanchissait ce rivage J'exprimais avec peine un douleureux breuvage. Enfin, cette caverne et mon arc destructeur Et le feu, de la vie heureux conservateur, Ont soulagé du moins les besoins que j'endure, Mais rien n'a pu guérir ma funeste blessure.